Une légère et fébrile clarté entre par le plafond de la ger (yourte mongole). Il est 6h30. Le chauffeur de bus et sa femme dorment dans le lit à coté de nous. Arrivés tous ensemble à 2h du matin dans cette petite ville à quelques kilomètres de la frontière, une étape que nous n'avions pas prévue. Un voyage désagréable de 6h dans un minibus plein, littéralement entassé les uns sur les autres nous à conduit jusqu'à Uyench. Là, nous avons eu droit à un bol de thé au lait, une épaisse soupe de chaire de mouton que nous avons gentiment déclinés et remplacés par des galettes de pain et de la pastèque avant de nous coucher quelques heures.

Une voiture nous attend désormais dehors pour la suite du parcours. Un douanier est au volant, accompagné de deux jeunes mongols. Dans un levé de soleil magnifique et prodigieusement doux, nous redécouvrons somnolent, les montagnes arides et aiguisés de la chaîne de l'Altai. Ici, les monts se nappent à la auboise de vagues sinueuses et régulières rehaussées par les ombres du levant. Les plaines vastes et sèches sont couvertes de petits arbustes rasent. L'ambiance nocturne qui s'efface donne à notre périple un peu cahoteux des allures lunaires. Nous arrivons dans un petite bourgade étonnamment verte et boisée où yourtes et maisons de terre se tutoient. Il est 8h, nous sommes à Bulgan et notre chauffeur nous dit qu'il doit nous laisser pour travailler. Ainsi nous comprenons qu'il n'est pas douanier, car il s'arrête devant une caserne de pompier et que il ne nous conduira pas jusqu'à la frontière. De plus, la rue qui doit regorger de taxi pour nous mener à la limite du territoire est prodigieusement vide. Alors ce gentil douanier qui ne travaille pas à la douane, nous baisse les sièges de devant de sa belle voiture et nous propose de dormir un peu. Fatigués, nous profitons de l'occasion et Maxime s'endort d'un trait. Sophie le réveil vers 9h lorsqu'un badaud s'approche du véhicule, curieux. C'est un taxi, notre transport suivant appelé par le douanier.

Changement de voiture, petit tour en ville pour remplir les sièges vident et direction les montagnes. On roule à bonne allure, l’asphalte en étonnamment bonne état s'étend jusqu'à disparaître dans les méandres des monts. La plaine caillouteuse et désertique s'allonge entre deux grands massifs grisâtres. Dans les saillies creusées par l’érosion, le long des pentes, la nature à l’abri des torrides assauts du soleil reprend ses aises. On voit poindre de ces tranchées des branches vertes et touffus. L'eau n'est pas visible mais la vie est bien présente. Soudain après l’ascension poussive d'un col apparaît un ensemble de gros blocs de béton, encerclé de barbelé qui tranchent le paysage en deux. Devant une grande barrière, nous nous joignons à une queue de piéton qui commence à se former. Des camions de marchandises vides sont alignés devant cette barrière fermée, à leurs cotés, des bus de toutes tailles attendent aussi. Quelques minutes avant 10h, les moteurs s'allument et les piétons s’excitent. Entre ces bâtiments droits et formels commence à sortir quelques uniformes.

A l'heure tapante, les portent s'ouvrent et chacun au volant ou à pied joue des coudes. Nous passons le premier poste frontière sans encombre, impunément doublés par des mongols sans gênes, sous les yeux des douaniers désintéressés. Un kilomètre plus loin, nous passons à la fouille, chinoise cette fois. Contrôles d'identités, des éventuelles armes, de l'appareil photo et de l'ordinateur pour des fichiers vidéos ou photos. Nous sommes visiblement en règle, ces bâtiments dimensionnés pour accueillir des hordes de passagers nous intimides un peu avec nos maigres affaires, d'autant que nous sommes seuls à passer. Changement de bâtiment pour le contrôle du visa.


A peine nous réjouissons nous d'être en Chine que nous sommes littéralement encerclés par des taxis et autres transporteurs. Nous n’attendrons pas le bus couchette et sauterons dans un taxi qui doit nous mener jusqu'à Urumqi à 550 km de là. Ali, notre chauffeur excentrique et sérieusement hyperactif est un ouïgour qui nous fait rire, bien bronzé et bedonnant. Nous quittons la frontière vers 13h après une halte dans un marché frontalier pour changer de l'argent et prendre un autre passager. Plus loin, nous nous faisons arrêter à un poste de contrôle. Les officiants ne parlant pas anglais et nos visas n'ayant aucune mention en Chinois... impossible pour eux de distinguer nos noms. Avec l'aide du téléphone de Sophie, nous leurs faisons comprendre nos noms et prénoms qu'ils notent consciencieusement. Pour finir, Maxime sort la carte du monde et leurs fait découvrir d’où nous venons et par où nous sommes passés. Ces jeunes militaires en treillis, la mitrailleuse à la main, le casque bien attaché et le regard dur, nous souhaite un bon séjour en Chine et nous paraissent d'un coup beaucoup plus sympathiques. La suite du trajet qui durera 6h sera fatiguant car notre turbulent chauffeur parle fort, téléphone sans arrêt, conduit un peu trop sport et joue avec le volume de son autoradio mal réglé. De ce coté de la frontière dans ces étendues hostiles, les plaines sont balafrées par des routes en perpétuelles constructions et des immeubles aux hauteurs cavalières. Le trafic est soutenus et les camions sont nombreux, au loin, des grattes-ciels font la nique à de hautes montagnes chapeautés de blanc. Nous approchons de la ville. Les sinueuses routes cabossées passent par des oasis ruraux en pleine culture avant de laisser place aux agglomérations de bétons, aux lignes franches horizontales-verticales. La route s’élargit et gagne en nombre de voies. Les véhicules se rapprochent les uns des autres comme les bâtiments alentours qui maintenant sont des quartiers dessinés au kilomètre. Nous constatons que les immeubles comptes aisément une vingtaines d'étage et se font de l'ombre dans cette jungle urbaine.

La frénésie de la ville que nous avions oublié nous fait nettement comprendre que nous avons quitté un pays de 3 millions d'habitants pour rejoindre une ville qui en compte autant. Notre conducteur s'échauffe aussi et nous réclame un autre tarif de celui énoncé au départ. Surpris et aussi fâchés de ce tour un peu osé, nous ne lâchons pas les négociations malgré la barrière de la langue. Nous comprenons rapidement que le passager avant se trouve aussi dans l’embarras et hausse le ton. Soudainement, notre taxi s'arrête au milieu d'un boulevard et descend nos affaires sur le bas coté qui ne compte pas de trottoir. Nous payons la rondelette somme évoquée le matin. Ali fâché repart en trombe, comme d'habitude. Un peu surpris malgré tout, nous cherchons autour de nous quelques repères se mettant gauchement à l'abri du trafic. La ville est grande, les immeubles vertigineux, l'urbanisation compacte et le passage intense, nous sommes engloutis dans la civilisation, égarés. Notre compagnon de route, un chinois han sûrement, stoppe un taxi et nous fait signe de monter. Nous payerons pour lui, le véhicule nous déposera devant l'auberge de jeunesse que nous avions repérée sur le guide de voyage. Sophie l'avait dit, mais Maxime n'avait pas relevé, nous n'avions pas réservé, l'auberge est pleine. Heureusement un des gérant nous dirige vers un autre endroit. Le tarif est le même, c'est à 5 minutes à pied avec promenade dans le parc voisin.

La nuit tombe précipitamment comme notre sac sur le lit. Dehors c'est l'agitation et l'effervescence d'une cité en plein festival. Malgré la fatigue, nous sortons pour nous restaurer un peu, la cuisine de rue chinoise à des arguments puissants. Après le mono-régime mouton de la Mongolie, des brochettes de légumes nous rendent joyeux... et souffrant d'épices furieuses. Les enseignes lumineuses, le trafic continu et la foule bruyante nous assomment. Dans ce tourbillon, nous tombons de sommeil dans notre minuscule chambre au quatrième étage... en Chine.